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Les paysans dans la 'cour des grands'

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Title Les paysans dans la 'cour des grands'
 
Creator Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
 
Description Les nouvelles organisations paysannes qui essaiment dans les pays ACP ne manquent pas d'ambition. À peine reconnues par leurs États respectifs, elles se saisissent des enjeux internationaux. « Le sort de nos agriculteurs, clament-elles, se décide autant sinon plus à Bruxelles, Londres ou Genève qu'à Bamako ou Harare. » L'audace de la démarche n'occulte pas l'embarras des revendications. Car comment faire entendre des voix paysannes pertinentes dans les enceintes d'ordinaire réservées aux gouvernants, diplomates et experts?

Nous sommes jeunes, mais nous avons une histoire », affirme d'emblée Moussa Para Diallo, dirigeant paysan guinéen. « En une douzaine d'années, les groupements paysans disséminés dans le Fouta-Djalon ont pris leur essor, en même temps que progressaient les cultures de pommes de terre ou d'oignons. » Aujourd'hui, l'aura de la Fédération des paysans de Moyenne-Guinée (FPMG) dépasse les frontières du pays. « Il a fallu relancer la riziculture et le maraîchage en Casamance avant de pouvoir dialoguer avec le gouvernement ou la Banque mondiale », plaide de la même manière Bara Goudiaby, leader sénégalais. Le fait est là. Presque partout, profitant de libertés d'expression et de réunion retrouvées, les organisations paysannes (OP) émergent et se structurent. Le cocktail des sigles témoigne de la montée en régime : FUPRO, Fédération des unions de producteurs du Bénin ; mouvement MVIWATA en Tanzanie ; AOPP au Mali ; CAM, Cercle des agriculteurs malgaches ; UNFA, association nationale des fermiers ougandais, etc.1 Non seulement les OP existent, mais elles causent ! Les déclarations se succèdent au rythme des réunions. Avec un point commun, une référence lancinante aux prochains rendez-vous internationaux (voir encadré). En effet, trois échéances s'annoncent déjà ou se profilent à l'horizon. La renégociation de la Convention de Lomé entamée en septembre 1998 et qui doit être achevée avant février 2000. Le renouvellement avant juin 1999 de la Convention de Londres relative à l'aide alimentaire et qui regroupe les pays donateurs. Enfin, les discussions sur le volet agricole de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).



Désarroi et carences



« La machine continue d'avancer, s'inquiète Antoinette Aba'a, productrice de cacao camerounaise. Nous et nos gouvernements ne pouvons plus pratiquer la politique de la chaise vide. Sinon, on décidera à notre place de notre avenir et de celui de nos enfants. » Pas simple, pourtant, d'avoir voix au chapitre. « Nous frappons depuis plusieurs années à la porte des Grands, les négociateurs américains ou européens, proteste de son côté Renwick Rose, planteur de bananes et responsable de l'Association des producteurs des îles Sous-le-Vent (WINFA) dans les Caraïbes. Mais on ne nous considère toujours pas comme des interlocuteurs valables. Alors que, de Saint-Vincent à Sainte-Lucie, nous contribuons pour près de 60 % aux recettes d'exportation. »2 Bref, les OP apparaissent frustrées, tiraillées entre leur déficit d'information et la réserve des gouvernants. « Ce n'est pas forcément de la mauvaise volonté, rétorque Maurice Ouikoun, conseiller auprès du ministre béninois du Développement rural. Je dialogue en permanence avec les responsables paysans. Mais, s'ils me demandent des documents sur les résultats des derniers débats à l'OMC, je suis bien en peine de les satisfaire. Et de ce que je sais de la situation en Afrique, le cas du Bénin n'est pas singulier. » Du côté de la Commission européenne, on montre ses bonnes dispositions. « Reportez-vous à notre Livre vert, inventaire de propositions pour rénover la Convention de Lomé, argumente Philippe Darmuzey. Il met en exergue une volonté de partenariat avec la société civile, les acteurs décentralisés comme on dit dans notre jargon, et parmi eux, bien sûr, les organisations paysannes. » « C'est une déclaration encourageante, renchérit N'Diagou Fall, délégué paysan sénégalais, mais comment va se nouer le dialogue ? Le vrai défi aujourd'hui, c'est de passer des paroles aux actes. Le Livre vert évoque aussi la lutte contre la pauvreté comme un objectif central. Quelle traceen trouve-t-on dans les campagnes africaines ? » (voir encadré).



Un vaste champ d'intervention



Dans ce combat pour la reconnaissance et la prise en compte des intérêts paysans, les OP bénéficient de renforts sous forme de relais multiples dans le monde des ONG. Yannick Jadot, membre de l'association Solagral, est de ceux-là. « L'enjeu des prochaines négociations pour les OP, dit-il, consiste à élargir le débat. Passer de la simple reconduction de l'aide alimentaire à l'adoption de véritables politiques nationales de sécurité alimentaire. Intégrer dans les joutes commerciales les préoccupations sociales et environnementales des agriculteurs. » Sans oublier d'articuler les compétences entre le savoir des experts et celui des paysans. Les handicaps sont également légion. Les OP manquent d'expérience et ne font pas mystère d'immenses besoins de formation. Sur le terrain, il arrive que la dynamique unitaire connaisse des ratés. « En Afrique centrale, dénonce le dirigeant camerounais Jeanot Minla Mfou'ou3, l'éclatement et la satellisation du mouvement paysan sont à l'ordre du jour. » Par ailleurs, les rares « leaders » des diverses organisations, happés par les sollicitations tous azimuts, s'éloignent parfois de leur base. Ainsi, au Mali, l'équipe aux leviers de commande du Syndicat des cotonniers et vivriers (SYCOV) a été remplacée. Son nouveau secrétaire général, Yacouba Doumbia, précise : « Nous sommes trop tributaires de l'instabilité des cours mondiaux pour ignorer la dimension internationale de la filière. Mais il faut dans le même temps, et c'est dur, répondre aux préoccupations immédiates. Tenter d'obtenir par exemple un meilleur prix d'achat du coton aux producteurs. »4 « Les OP sont en recherche d'autonomie », résume Daouda Diagne de l'Inter-Réseaux, autre organisme d'appui. La difficulté pour elles tient à ce que cette quête est menée à l'heure de la mondialisation. Obligation de se mobiliser sur tous les fronts, en quelque sorte.



1 Cf. États désengagés, paysans engagés.

En Afrique et en Amérique latine, Éd. FPH (38, rue Saint-Sabin, 75011 Paris), 1997.

2 Cf. « Vivre la banane ! », Spore n° 74 (avril 1998).

3 Secrétaire exécutif du réseau « Agricultures paysannes et modernisation en Afrique » (APM-Afrique, BP 10008, Yaoundé, Cameroun

fax : + 237 20 50 20). Il a tenu ces propos lors d'un séminaire régional, tenu fin janvier 1998 à Ebolowa, dans le Sud-Cameroun, et organisé avec le soutien du CTA.

4 Un thème mis au menu du réexamen du contrat-plan qui associe à la gestion de la filière l'État, l'opérateur CMDT (Compagnie malienne des textiles) et le SYCOV.
Les nouvelles organisations paysannes qui essaiment dans les pays ACP ne manquent pas d'ambition. À peine reconnues par leurs États respectifs, elles se saisissent des enjeux internationaux. « Le sort de nos agriculteurs, clament-elles, se...
 
Date 1998
2015-03-23T11:09:42Z
2015-03-23T11:09:42Z
 
Type News Item
 
Identifier CTA. 1998. Les paysans dans la 'cour des grands'. Spore 78. CTA, Wageningen, The Netherlands.
1011-0046
https://hdl.handle.net/10568/61022
https://hdl.handle.net/10568/99652
 
Language fr
 
Relation Spore;78
 
Rights Open Access
 
Publisher Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
 
Source Spore