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Sud-Sud, mode d’emploi

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Title Sud-Sud, mode d’emploi
 
Creator Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
 
Description L’agriculture du Sud manque d’opportunités, dépend trop de l’aide extérieure et souffre d’un système commercial inéquitable. Mais peut-elle compter sur ses partenaires du Sud plus que sur ceux du Nord ?

La pirogue se balance doucement au détour d’un nouveau coude de la mangrove, à une douzaine de kilomètres au sud du port de Ziguinchor, dans la moiteur verte de la province de Casamance, au sud du Sénégal. Des poissons filent sous elle comme vif-argent et des nuées d’insectes, de papillons, d’oiseaux colorés dansent tout autour, alors qu’elle se fraie un chemin sous les branches tombantes. Un homme est à la barre, un jeune garçon sifflote tranquillement et trois autres passagers très excités agitent la tête encore plus vite que les oiseaux en train de percer des noix dans un arbre voisin : ils échangent des regards complices, chuchotent dans un magnétophone, griffonnent des notes illisibles sur du papier quadrillé (jusqu’ici, ils n’avaient jamais vu de papier à carreaux au lieu de simples lignes).

Ils s’adressent à leur guide, qui a voyagé avec eux, loin de chez elle. Elle traduit leurs questions au jeune guide francophone qui les traduit à son tour à son frère à la barre. Le garçon les amuse en imitant des chants d’oiseaux pour encourager ceux-ci à s’approcher encore davantage. Au bout de quatre heures, ils accostent à leur village d’accueil et, une fois reposés, ils commencent à enregistrer leurs découvertes qui étonneront leurs familles et leurs amis à leur retour dans leur village de la plaine côtière du Guatemala, en Amérique centrale. Ils ont découvert les similitudes des écosystèmes dans lesquels ils vivent : les similarités de flore et de faune, les différents usages médicinaux que leurs guérisseurs font des mêmes plantes. Et ils songent à tous les progrès que l’on pourrait accomplir si toutes les communautés rurales pouvaient échanger si facilement leur savoir.

Cette visite d’échanges entre agriculteurs de deux villages distants d’un hémisphère se déroulait il y a une génération, en 1982, à une époque où on jargonnait moins qu’aujourd’hui. Elle était organisée par un réseau qui reliait des ONG du Sud et des agences de soutien et de financement du Nord partageant les mêmes convictions. Ce type de visite était considéré comme une merveilleuse illustration des échanges de savoirs locaux Sud-Sud. Mais cela allait-il beaucoup plus loin que le partage de préoccupations communes par différents groupes qui en tirent parti chacun de son côté?



Au commencement, l’échange



L’idéal de la coopération Sud-Sud est né avec le concept de ‘Sud’. Cette coopération est pourtant millénaire et a toujours été portée par les échanges commerciaux. Le commerce a toujours été le principal véhicule des idées et des technologies qui ont stimulé le développement agricole dans le monde, comme le reconnaît l’approche Sud-Sud au cœur du Programme spécial de la FAO pour la sécurité alimentaire (PSSA).

Le Sud a existé avant ‘le Sud’. Ce concept a été défini, peut-être paradoxalement, par des écoles de pensée qui ont émergé au Nord dans les années 60, un peu comme une séquelle du récent passé colonial. Le Sud, disait-on dans le Nord, est un amalgame de cultures et d’économies qui ont comme dénominateurs communs un passé colonial sous tutelle européenne et la conviction de n’avoir qu’une maigre part des ressources et des opportunités mondiales.

Progressivement, le Sud a assumé sa propre identité, plus en termes d’échanges culturels et sociaux que de partage du pouvoir économique. Dans les années 80, il a trouvé une assise institutionnelle : la Commission internationale du Sud, dirigée par le Président Nyerere et installée dans le Centre du Sud à Genève, en Suisse. Aujourd’hui encore, elle défend agressivement les intérêts du Sud avec la seule arme dont elle dispose : la rhétorique. En voici un exemple, en 2002 : ' Alors que les pays en développement sont inondés de conseils pour ‘se prendre en charge’ et de sermons sur la bonne gouvernance, on leur demande de ‘plonger’ dans les eaux turbulentes de l’environnement économique international sans bouée de sauvetage ni même quelques gouttes d’huile pour calmer les flots et leur faciliter la tâche '.



Perdu ce feeling Sud ?



Au-delà de ces prouesses verbales, y a-t-il une place pour une véritable coopération Sud-Sud? De nombreuses expériences menées au cours de ces vingt dernières années sont des réussites, qu’il s’agisse d’échanges d’agriculteurs d’un village à l’autre ou de réseaux interrégionaux de chercheurs et de fabricants, dans le secteur des plantes médicinales, par exemple. Le récent bilan du programme PSSA de la FAO, qui a conduit des centaines de techniciens agricoles à quitter leur foyer pendant deux ou trois ans pour travailler ailleurs comme ‘experts’ — du Vietnam à Madagascar, de l’Inde à l’Érythrée —, montre qu’ils ont réellement apporté 'des compétences et une expérience concrète pertinentes dans les contextes locaux, avec un effet multiplicateur'. Le principal défaut de tels échanges est qu’ils sont en partie financés par l’extérieur et s’enracinent donc difficilement dans les programmes agricoles nationaux. On peut en dire autant des activités du Programme de coopération technique entre pays en développement (TCDC) du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui a permis des milliers d’échanges de compétences pendant vingt ans. Il est intéressant de noter qu’aujourd’hui, le programme TCDC est axé beaucoup plus sur les échanges d’expériences via Internet que sur les échanges de personnes.

Les échanges entre populations ne doivent pas nécessairement porter l’étiquette coûteuse des agences internationales. Divers réseaux d’ONG, comme l’IRED (Innovations et réseaux pour le développement), ENDA (Environnement et développement du tiers-monde) et Development Alternatives, favorisent les échanges de villageois artisans, agriculteurs ou femmes chefs d’entreprises d’un continent à l’autre. À un niveau techniquement plus sophistiqué, il existe aussi des échanges commercialement fructueux de responsables d’entreprises du secteur agroalimentaire, comme ceux que l’African Management Services Company facilite avec l’appui de la Banque mondiale.



Naviguez avec le courant



Quelles que soient leur forme et leur nature, en personne ou via Internet, ces échanges contiennent toujours une part de subvention ou un intérêt commercial. Si les financements extérieurs ne sont pas disponibles, les échanges doivent suivre quelques règles économiques. Quand des compagnies coopèrent, quand, par exemple, un fabricant brésilien de machines agricoles aide une entreprise similaire à s’installer en Afrique de l’Ouest, elles ont besoin d’être protégées dans une certaine mesure de la concurrence internationale, qu’elle vienne des États industriels du Nord ou de l’Asie. Les mesures à prendre pour faciliter la coopération Sud-Sud sont complexes : garanties à l’exportation, assurances, droits et tarifs douaniers favorables, incitations fiscales, protection du marché, brevets, copropriété, accords de non-concurrence… Toutes ces mesures remontent aux années 60 à 70, à l’époque où le concept de ‘Sud’ émergeait. Mais en ce début du XXIe siècle, alors que le monde s’engage à pas comptés sur les voies de la mondialisation en réduisant les réglementations à un niveau minimal de protection, ces mesures de soutien seront tout simplement interdites. Néanmoins, la vieille école persévère : la décision de mettre en place un réseau Sud-Sud de science et de technologie, prise par le groupe des 77 (les 126 pays en développement du monde) à Dubaï, en octobre 2002, était assortie d’un appel de fonds aux autres pays pour le financer. N’ont-ils donc pas vu les signes ' y a plus de bailleurs ' sur les murs ?

Le climat dans lequel la coopération Sud-Sud ancien style pouvait se développer a disparu. Pour paraphraser un explorateur d’un autre âge qui savait que son heure était venue, il pourrait même avoir disparu pour un bon bout de temps. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, plus dure. Un des chefs de file de la réflexion sur les sciences du Sud, Calestous Juma, résume les choses ainsi : ' Dans le climat actuel, on ne peut plus compter sur les institutions publiques pour jouer le rôle de vecteur de la coopération technique. Pourtant, dans de nombreux pays en développement, les gouvernements et le secteur industriel continuent d’entretenir un antagonisme et une méfiance réciproques, alors même que l’avantage comparatif d’un pays, aujourd’hui, dépend largement de la façon dont ils coopèrent. Les modèles de coopération Sud-Sud ne se justifient plus par la proximité ou l’appartenance à un bloc économique. Les alliances stratégiques doivent être bâties entre organisations, sans tenir compte de leur localisation géographique'.

C’est ainsi. Il faut naviguer avec le courant. Vingt ans après l’échange entre la Casamance et le Guatemala, deux des ‘facilitateurs’ se sont à nouveau rencontrés en décembre 2002, au Forum caribéen de l’industrie des plantes médicinales et aromatiques en Jamaïque. Des institutions avaient rendu l’échange possible mais ce sont ces deux personnes du Sud qui l’ont réalisé et l’ont fait durer.



[points clés]

La coopération agricole Sud-Sud nécessite :



• l’admission que les échanges les plus efficaces ont une motivation commerciale ;

• des échanges de personne à personne pour assurer la délicate transmission de savoirs ;

• une meilleure intégration dans les systèmes nationaux ;

• des liens basés sur les contenus et pas sur des symboles.



[caption]

Autant de points de vue, autant de solutions. C’est la réalité sur le terrain, comme ces échanges entre spécialistes du bananier du Costa Rica et d’Afrique de l’Ouest (page 1).
L’agriculture du Sud manque d’opportunités, dépend trop de l’aide extérieure et souffre d’un système commercial inéquitable. Mais peut-elle compter sur ses partenaires du Sud plus que sur ceux du Nord ?La pirogue se balance doucement au...
 
Date 2003
2015-03-26T12:15:59Z
2015-03-26T12:15:59Z
 
Type News Item
 
Identifier CTA. 2003. Sud-Sud, mode d’emploi. Spore, Spore 103. CTA, Wageningen, The Netherlands
1011-0046
https://hdl.handle.net/10568/63100
https://hdl.handle.net/10568/99676
 
Language fr
 
Relation Spore;103
 
Rights Open Access
 
Publisher Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
 
Source Spore